mercredi 5 mars 2008

Trouvé au passage sur "A l'ombre des Lumières".

Des gens sans histoire


Bernard a 48 ans, il est boulanger. Une femme, trois gosses. Une vie tranquille dans un petit village du sud de la France. Sa fille Julie, 15 ans, s'est encore fait emmerder par des Arabes en sortant du collège. Des avances qu'elle a refusées. Quentin son frère, 17 ans, l'a défendue. Il est à l'hôpital avec une double fracture de la mâchoire et perdra l'usage de son œil gauche. Un jeudi à la boulangerie, deux des racailles en question entrent, ils parlent de Quentin et de "la race" qu'ils lui ont mise. Ils sont morts de rire. Julie est derrière le présentoir avec son père à qui elle dit tout bas "Papa c'est eux !". "Je sais" répond-il les dents serrées et le regard fixe. Les deux jeunes, pas plus de 18 ans, sortent un couteau et réclament la caisse. De la rue, on entend des coups de feu qui retentissent. Bernard purge actuellement une peine de prison à perpétuité pour double homicide volontaire. Quentin s'est suicidé, Julie a fugué et fait le trottoir pour se payer sa drogue. Le dernier fils, Alexandre, 23 ans, prend soin de sa mère Christine, 45 ans, devenue dépressive.

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Jean-Jacques et Madeleine ont respectivement 68 et 66 ans. Ce couple de retraités fête ses cinquante ans de mariage. Ils se sont connus dans leur plus petite enfance. Ils ont grandi ensemble dans les cités populaires des années cinquante, aujourd'hui devenues les "quartiers sensibles". Mais à l'époque "tout était différent" nous confie Madeleine, une lueur dans les yeux. "Tout était neuf" dit-elle, "il y avait des jolis coins verts, les gamins jouaient au ballon, des jeunes faisaient de la guitare en bas de l'immeuble mais rien de méchant. On était heureux." conclue-t-elle sur un ton nostalgique, des trémolos dans la voix, pendant que son mari est assis sur une chaise derrière, le regard perdu par la fenêtre, comme s'il cherchait à retrouver cette époque où il faisait bon vivre. Après des années d'un quotidien devenu insupportable, le couple a pu réunir assez d'argent pour fuir une banlieue à laquelle ils étaient pourtant attachés. "On prévoyait de partir un jour" dit Jean-Jacques, "mais pas comme ça". Madeleine développe, "C'est le cœoeur lourd que nous sommes partis, mais c'était vraiment une descente aux Enfers". Elle se lève et ouvre le fenêtre du salon et lance "Ça, on ne pouvait pas le faire par exemple, à cause du vacarme des mobylettes, tout la journée, tous les jours. Une fois je leur ai demandé d'essayer de faire moins de bruit, ils m'ont lancé des cailloux, ils m'ont insultée et..." elle fond en sanglots alors que son mari la prend dans ses bras et continue : "Sans même parler de la musique à quatre heures du matin, des boîtes aux lettres et des ascenseurs cassés chaque semaine, de la voiture brûlée, des crachats et de la drogue dans la cage d'escalier, des menaces permanentes... On ne voulait plus de nous, on ne se sentait plus chez nous".

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Bien que fils de médecin, Anthony n'a jamais été fait pour les études. C'est un garçon simple, mais honnête et droit. Sa naïveté lui a toujours assuré une innocence proche de la pureté. Après avoir raté son brevet des collèges, il a fait quelques petits boulots puis a réussi à dénicher un apprentissage en tant que carrossier, dans le garage d'un ami à son père. Anthony c'est la gentillesse même, la générosité incarnée. Cependant il a une manie assez drôle, surprenante pour qui ne le connait pas. Comme son père lui a toujours dit que le tabac était nocif, il ne supporte pas la cigarette. Chaque fois qu'il voit quelqu'un en fumer une, il lui arrache en l'écrasant à terre et dit "C'est dangereux pour le cancer". Mis à part ce petit souci dû à son intellect limité, Anthony est très sociable. Tout ceux qui le connaissent l'aiment, et il le leur rend bien. Il s'est même trouvé une petite copine sérieuse, une fille comme lui, elle est d'ailleurs enceinte. Côté professionnel tout se passe bien aussi, puisqu'il est sur le point de décrocher un CDI dans la boîte où il est apprenti. Un soir, vers minuit, Anthony descend à l'épicerie acheter du chocolat pour sa femme désormais enceinte de six mois et demi. Sur le chemin du retour, il croise trois voyous ordinaires au coin d'une ruelle, dont un qui tient une cigarette à la bouche. Anthony est aujourd'hui enterré quelque part en Bretagne. Il a été tabassé à mort à quelques mètres de son appartement. Les auteurs du lynchage courent toujours. Il avait 21 ans.

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Patrick a 43 ans. Il est ouvrier dans la même entreprise de sidérurgie depuis qu'il y est entré à l'âge de 17 ans. Il a deux gosses, il est divorcé et vit dans le Pas-de-Calais. Ce n'est pas un type très cultivé, ni très malin, mais il est courageux et a une certaine morale. Il mène une vie assez ordinaire, il est abonné au stade Bollaert, il travaille dur et ne demande rien à personne. Patrick ressent des frissons lorsqu'il écoute la Marseillaise. Il a les mains qui tremblent quand il voit des drapeaux tricolores portés fièrement, et pas qu'à l'occasion d'une victoire au football. Il a les larmes aux yeux et les genoux fébriles lorsque Sarkozy lui parle de ceux qui se lèvent tôt, de l'Histoire de France et de l'identité nationale. Il n'a pas de recul sur tout ça. Il est ce qu'il est, et ne se l'explique pas. Il n'a ni le besoin ni la capacité de théoriser pour comprendre, ou plutôt sentir, que quelque chose ne va pas. De l'hymne national sifflé jusqu'à ses pneus crevés et l'inscription "SAL BLAN" gravée sur la portière droite de sa voiture, Patrick est malheureux. Il a voté FN en 2002, aux deux tours, mais le nie lorsqu'il est en société. Sa fille a 20 ans, elle s'appelle Amélie. Elle a eu un enfant avec un Noir, et attend un bébé du même homme. Patrick a mal, il ne sait pas exactement où ni pourquoi, mais il ne dit rien. Il est raciste et haineux, car Bernard-Henry Lévy et Gérard Miller lui ont dit à la télé. Il s'en veut énormément, il se dit que quelque chose ne tourne pas tond chez lui. Il a honte d'être ce qu'il est. Il ère dans les rues d'une France qui ne veut pas de lui et dans laquelle il se sent étranger. Il se contente d'être poussé par les vagues tout en ayant l'impression, pour des raisons qu'il ignore, que le sens du courant n'est pas le bon. Son fils Romain, 18 ans, a découvert que son père avait voté Le Pen. Il l'a aussitôt dit à sa soeur Amélie et à sa mère Carole. Tous trois ont coupé les ponts avec Patrick. Après quelques années de solitude et une délocalisation, un chômage dur à vivre même s'il tenta de rester à la surface comme il le pouvait, entre mosquées et violence urbaine, il mit fin à ses jours. On retrouva cet humble ouvrier pendu, au milieu de son salon.

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Emilie a 14 ans, elle vit en région parisienne. Elle est fille unique, et fréquente un collège de ZEP, en classe de quatrième. Son groupe préféré est
Type-o-negative et sa garde-robe est plutôt sombre, ce qui ne lui facilite pas la vie dans un environnement monopolisé par des rappeurs habillés en pokemon. Qui plus est, elle a le tort d'être intelligente et bonne élève, ce qui ne joue pas en sa faveur. Elle ne compte plus les insultes et les crachats. Le soir elle rentre chez elle sans se retourner, en traçant tout droit, les yeux rivés au sol. Il y a un an, elle fut rouée de coups pour un regard de travers. Poumon perforé et mâchoire cassée. Les "jeunes" qui lui ont fait ça ont dû exécuter quelques heures de travaux d'intérêt général. Ils étaient quatre, dont deux sont dans le même collège qu'Emilie. Un jour que l'adolescente se rend aux toilettes de l'établissement, elle se fait interpellée par ses deux anciens agresseurs, dont un la tient et l'autre bloque la porte pour que personne ne puisse rentrer. Elle se fait frapper une minute ou deux, dans l'indifférence totale des collégiens qui aperçoivent la scène en passant devant la vitre de la porte. Tous ont peur des représailles s'ils interviennent. Les deux garçons courageux partent en courant, Emilie s'effondre au sol, seule. Elle n'a rien de grave mais est en larmes. L'usure, la fatigue. Ça fait déjà trois fois cette semaine. Cette fois elle décide d'aller en parler au directeur. En traversant la cour, tout le monde la regarde. Chacun sait ce qu'elle va faire, et chacun lui porte un regard accusateur. On entend quelques mots au milieu du brouhaha. "Balance", "Facho". Arrivée dans le bureau elle raconte ce qu'elle vit, elle raconte que ce sont toujours les mêmes. Elle décrit précisément le profil type de ses agresseurs. Trop précisément. Le directeur de ce collège la renvoie sèchement, feignant d'être pressé : "Oui oui je ferai ce que je peux hein Emilie, en attendant avec ton accoutrement et ta musique violente à fond dans le walkman tu les cherches un peu quand-même". "Non mais..." répondit-elle avant d'être interrompue : "Et puis tu m'as l'air de faire une fixette sur leur couleur de peau également, on a que ce qu'on mérite dans la vie chère petite". C'est sur ces bonnes paroles que l'adolescente est rentrée chez elle. Elle ne parle plus à ses parents de ce genre d'évènements. La seule fois où elle a essayé, elle avait à peine prononcé le mot "racailles" que son père et sa mère lui ont dit "On ne t'a pas élevé pour que tu votes UMP ou pire !". Alors elle s'enferme dans sa chambre et écoute Bloody Kisses en boucle.

Quelques jours plus tard elle apprend que les deux "jeunes" des toilettes ont récolté deux heures de colle chacun. Un soir, sur le chemin du retour, une bande de racailles l'attrape et l'emmène dans une cave. Elle ne parvient pas à les compter, ni même à voir leurs visages sous les cagoules. "Alors t'as balancé au dirlo salope !". Ils la menacent avec un couteau. "Bouge pas et crie pas ou t'es morte". Emilie est paralysée par la peur. L'un d'entre eux met son sexe dans la bouche de la jeune fille. "Ah beh tu vois tu l'ouvres bien ta gueule, pas comme l'année dernière !". Elle entend des rires qui résonnent dans cet endroit sombre, et comprend à qui elle a affaire. Ils la violeront pendant presqu'une heure en filmant la scène avec un téléphone portable. Avant de partir, ils la menaceront de montrer ces images à tout le monde si elle parle. Emilie rentre chez elle et prend une douche. Puis deux, puis trois. Elle s'allonge ensuite sur son lit. L'heure du dîner venue, sa mère l'appelle pour venir manger, mais elle ne répond pas. La maman de l'adolescente vient donc toquer à sa porte. Toujours pas de réponse, la musique tourne à fond, comme d'habitude. La mère entre finalement en forçant la serrure. La chambre est vide. Le corps d'Emilie gît sur le macadam, 19 mètres plus bas. Elle s'est défenestrée un quart d'heure plus tôt, et n'a laissé aucun mot.

Le quotidien de braves gens...

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